Votre panier est vide
On pensait que cela n’arrivait que dans les films américains et que le Nouveau Monde avait l’apanage de ces adolescents saturés de violence, d’abandon et de hamburgers.
RésuméEt si, sur notre vieux continent, les enfants se mettaient aussi à jouer avec de vraies armes et qu’ils se prenaient au jeu de la guerre et de la terreur pour simplement s’amuser ?
Un matin de juin comme les autres, dans une petite école primaire, Kevin Pinson, 12 ans, tue son institutrice d’une balle dans le cœur et prend les élèves de sa classe en otage.
Dehors, policiers et psychologues tentent d’empêcher le massacre et de comprendre comment la situation a pu dégénérer à ce point. Pourquoi la société a-t-elle pu créer ces enfants sans conscience, sans repères, obnubilés par la télévision et livrés à eux-mêmes ?
Dans la classe, les élèves se dévoilent, se racontent. Ils semblent ne pas s’étonner de l’horreur de la situation. Ils entrent peu à peu dans un jeu macabre où sortir libre est ressenti comme une honte et où chaque otage relâché devient le perdant.
Réflexions au fil des pages
Un écolier flingue son institutrice et prend sa classe en otage. Tel est le début du roman de Sarah Berti, Classe story (Editions Mols, 2004). Fait divers tragique sans doute. Mais surtout prétexte pour la romancière de tracer une série de portraits: élèves, enseignants, surveillants, directeurs, parents, policiers...
Chaque séquence, plutôt brève puisque aucune ne comporte plus de huit pages et en moyenne ne dépasse pas quatre, se focalise sur un des protagonistes. Elle le décrit, analyse ses réactions, décortique son comportement. Ainsi transparaît peu à peu l'esquisse d'une analyse de société. L'éventail est large. Il couvre tous les registres. Il s'aventure avec humour et pas mal d'esprit caustique au milieu des travers de notre époque.
Familles décomposées et plus ou moins mal recomposées, enfants caractériels abandonnés à leur sort, professeurs écartelés entre liberté laxiste supposée épanouissante et rigueur contraignante mal vue par les pédagogues, adultes largués par le bulldozer économique et broyés par le stress urbain autant que par la pression du quotidien, repères sociaux et moraux éparpillés au vent d'une civilisation essentiellement marchande, placée sous la dictature mentale de la télévision démagogue...
Le rythme – le montage dirait-on – est proprement cinématographique. Ce que l’auteure annonce sitôt les premières lignes :
C'est comme dans un film. Mais cette fois il en est le héros. Et personne ne pourra rembobiner la cassette et revenir en arrière. Il l'a fait. Il a tiré et Mademoiselle Plume gît maintenant sur le carrelage bordeaux et beige de la classe, les yeux exorbités.
Kevin Pinson sourit. Il marche lentement vers le tableau et s'assied sur la chaise, croisant les pieds sur le bureau, par-dessus les classeurs et les piles de corrections. Il regarde l'arme, la pose sur ses genoux.
-Ali, va fermer la porte à clef.
Sa voix ne tremble pas trop, il se surprend lui-même. Il a l'impression d'avoir au moins dix-sept ans, comme son frère, enfin son demi-frère même s'il compte pour deux. […]
Les autres élèves ne bougent pas, ils n'ont même
pas crié tout à l'heure, pas une seconde. Ils se sont juste arrêtés, magnéto sur pause, depuis le coup de feu et la chute de Mademoiselle Plume entre les tables. La jolie Jessy s'est recroquevillée sur le banc, la tête entre ses bras croisés. Les bretelles du top blanc sont tendues à craquer sur ses épaules rougies par les premiers soleils. Pas de crème solaire chez Jessy Johnen, Maman n'a pas le temps de penser à ces choses-là, elle travaille voyez-vous. Et Jessy n'aime pas les tee-shirts, ni les peaux pâles comme celle d'Alissa. Non, elle rêve d'un bronzage parfait, satiné, comme les filles de la Star Academy. Mais là, pour l'instant, elle a oublié ses rêves de paillettes. elle sanglote en silence, le nez contre le formica gris du banc.
Le petit Nathan part d'un rire rauque, devant la grimace de l'institutrice et son corps tordu bizarrement entre les chaises. Mais ce n'est pas un film, pas cette fois, alors il se tait, comme les autres, parce qu'il ne comprend vraiment rien.
Le soleil inonde la classe par les innombrables carreaux. C'est l'été, la fin de l'année scolaire, un matin de juin comme les autres ou presque, juste un matin. Et un pistolet, glacé, dans la main d'un petit garçon. Et son sourire, là, son regard métallique. Les yeux froncés pour mieux réfléchir. Parce qu'il n'avait rien prévu et qu'il n'est pas très fort quand il s'agit d'improviser. Alors Kevin se concentre, se remémore les dernières vidéos qu'il a louées, fixe du regard le poster sur le mur du fond. Toute une série de photos mal découpées, pour une exposition sur le sabbat des sorcières. Le sang continue à couler sous Mademoiselle Plume, il atteint la chaise de Nathan qui lève les pieds d'un air dégoûté. Tout le monde observe la coulée rouge sur le carrelage ancien, le tracé sinueux qu'elle dessine sur le sol. Certains se redressent pour mieux voir, ils se détendent. Lilou, la fille de la directrice, se hisse sur la table et trois élèves l'imitent. Ils se serrent les uns contre les autres. Ils attendent.
Au bureau, Kevin continue à caresser l'arme, à la soupeser. Ce matin, avant de partir, il a ouvert le tiroir de la table de nuit et il l'a emportée, simplement, juste pour la tenir, pour la savoir là, dans son cartable, entre les cahiers froissés et le journal de classe saturé de remarques à l'encre rouge. C'est qu'il ne s'entend pas très bien avec ses professeurs, hormis Mademoiselle Plume. Tout le monde aime Mademoiselle Plume et elle le leur rend bien. Jamais elle ne s'énerve, jamais elle ne hausse la voix. Quand Kevin ne veut pas travailler, elle se moque gentiment de lui puis elle attend qu'il revienne à de meilleurs sentiments. Et cela fonctionne bien. Il a même réalisé une pyrogravure pour le marché de printemps le mois dernier.
[…]
Et maintenant elle est couchée là, un trou dans la poitrine. Kevin se demande pourquoi. Pourquoi elle. Pourquoi aujourd'hui. Elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, voilà tout. Dans la ligne de tir à l'instant précis où le film commençait. Clic. Bouton sur play. Kevin Pinson va passer à la télé. (p. 10-12)
C'est comme à la TV... !!!
Ce 7e art-là issu des images du petit écran. Un petit écran qui envahit tout et qui a sa propre manière de présenter les événements :
Le poste de télévision revient continuellement sur l'événement, la caméra sillonne autour du bâtiment, danse avec lui, le découpe. Une femme raconte n'importe quoi, décrit la vie de Kevin, sa famille, subodore des conflits, des haines, des visions apocalyptiques. Différentes pistes sont abordées, une conjuration satanique, une prise d'otages téléguidée par le paternel prisonnier, une brusque maladie mentale. Même Kevin n'écoute plus. Il voit son portrait sur l'écran et il ne ressent plus rien, plus de fierté, plus de surprise. À peine une évidence. Ben oui il passe à la télé.
L’image montre une photo de classe souriante, celle de l'année passée. Tiens, c'est vrai, Antoine n'était pas dans cette école. Il n'est arrivé qu'en septembre. La photo plus récente est collée au mur, près du tableau, les journalistes ne pourraient pas l'avoir. Alors ils se sont rabattus sur les miettes, des petits visages en rang qui prononcent spaghetti pour remonter les coins de leurs lèvres. Et Mademoiselle Plume, au centre, toute frêle, pour son premier poste de titulaire. (p. 158)
Chaque portrait est en actions. Ce qui ramène à la tradition d’un La Bruyère. En effet, les protagonistes n’apparaissent pas en analyse psychologique parée d’adjectifs qualificatifs. Ils dépendent des verbes : le lecteur voit ce qu’ils font, pénètre dans ce qu’ils pensent.
Quand Laura Van Meer parle, personne n'écoute. Elle sent sa salive qui s'égare, postillonne, elle saisit les regards dégoûtés qui se lèvent au ciel. Elle voudrait un appareil dentaire, comme Magdalène, un fil qui lui redresserait miraculeusement le sourire. Mais inutile de rêver, elle n'a pas l'argent nécessaire. Alors elle pense à autre chose. Laura Van Meer est très forte pour cela, penser à autre chose. D'ailleurs, ses idées s'emmêlent toujours toutes seules, sans qu'elle y puisse rien, d'un bond elles sautent, se déplacent, s'oublient en route. C'est pour cela que ses résultats scolaires sont si médiocres. Elle a du mal à se concentrer aussi. À rester assise. À attendre.
Quand elle était dans le ventre de sa mère, celle-ci buvait trop, ingurgitait des pilules aussi avec le whisky et la bière, pour faire descendre. Le médecin de la visite médicale l'a dit, c'est pour cela que Laura n’est pas tout à fait comme les autres. S.A.F. [Syndrome d'Alcoolisme Fœtal], a-t-il déclaré. Personnellement, Laura aurait préféré S.D.F., comme ceux qu'elle voit à la télé. Au moins, ils ont des cartons pour se construire des tentes, et des couvertures et des bancs rien qu'à eux. Laura Van Meer ne possède rien à elle. Elle partage chambre, lit, vêtements et rares tartines avec ses frères et sœurs. Même les baffes sont distribuées à la ronde, à l'aveuglette.
Laura Van Meer n'a pas bien compris le début de l'histoire, ni l'enchaînement des épisodes. Oh, elle a entendu les policiers, et l'ambulance, elle n'est pas sourde, mais elle se demande quand même pourquoi l'école dure si longtemps aujourd'hui. Si au moins la sonnerie retentissait, elle pourrait sortir, rentrer en flânant, peut-être jouer un peu dehors avec la carte postale de Star Academy qu'elle a volée le matin dans le cartable de Jessy. Miss Johnen n'a rien vu, prostrée depuis des heures sur sa table, les yeux terrifiés, presque éteinte. D'ailleurs toute la classe semble apeurée, maintenant qu'elle y pense, et puis ce silence, étrange, peu rassurant.
Où en était-elle déjà? Voilà, encore la même chose! Les pensées s'évanouissent d'elles-mêmes, elles disparaissent. Tiens, il reste des frites et du ketchup. Cool de manger à l'école, il y a même un livreur. (p. 142-143)
*
Ce livre permet aussi une étude à propos des prénoms et patronymes. Ils existent en fonction de certaines modes, de références de l’écrivaine à un poids sémantique en rapport avec les gens qui les portent.
Le meurtrier s’appelle Kevin Pinson. Les autres gosses sont Lilou ou Line Louise Quarteron, Jessy Johnen, Raphaël Leborain, Magdalène Robert, Charonne Cincinnatti, Daisy Demalle, Alissa Marella, Pauline Maillon, Alexandre Anselme, Nathan Gambrini, Bryan Sargenti, Antoine Engis, Laura Van Meer .Les adultes sont Martine Leclerc ex-Pinson, Donna Marella, Françoise Vandersmissen ex-Engis, Vicky presque Sargenti, Gilberte Mazmaux et la directrice Hélène Quarteron. Il y a encore les surnoms comme « Tête de souris sans cheveux » alias Solange Durieux qui surveille les repas tartines et les anonymes : un policier et son collègue Vincent X des forces spéciales d’intervention.
On pourrait donc, avant lecture du roman, tenter d’imaginer ce que sont chacun des protagonistes, physiquement et moralement, à partir des connotations suggérées par leur identité via les sonorités, les références linguistiques, la graphie, les allusions à une langue étrangère, les signifiés du dictionnaire. Un peu comme Balzac procéda pour le héros d’une nouvelle datée 1840, Z. Marcas :
Je n'ai jamais vu personne, en comprenant même les hommes remarquables de ce temps, dont l'aspect fût plus saisissant que celui de cet homme; l'étude de sa physionomie inspirait d'abord un sentiment plein de mélancolie, et finissait par donner une sensation presque douloureuse. Il existait une certaine harmonie entre la personne et le nom. Ce Z qui précédait
Marcas, qui se voyait sur l'adresse de ses lettres, et qu'il n'oubliait jamais dans sa signature, cette dernière lettre de l'alphabet offrait à l'esprit je ne sais quoi de fatal.
Marcas ! Répétez-vous à vous-même ce nom composé de deux syllabes, n'y trouvez-vous pas une sinistre signifiance ? Ne vous semble-t-il pas que l'homme qui le porte doive être martyrisé? Quoique étrange et sauvage, ce nom a pourtant le droit d'aller à la postérité; il est bien composé, il se prononce facilement, il a cette brièveté voulue pour les noms célèbres. N'est-il pas aussi doux qu'il est bizarre? mais aussi ne vous paraît-il pas inachevé? Je ne voudrais pas prendre sur moi d'affirmer que les noms n'exercent aucune influence sur la destinée. Entre les faits de la vie et le nom des hommes, il est de secrètes et d'inexplicables concordances ou des désaccords visibles qui surprennent; souvent des corrélations lointaines, mais efficaces, s'y sont révélées. Notre globe est plein, tout s'y tient. Peut-être reviendra-t-on quelque jour aux sciences occultes.
Ne voyez-vous pas dans la construction du Z une allure contrariée ? ne figure-t-elle pas le zigzag aléatoire et fantasque d'une vie tourmentée? Quel vent a soufflé sur cette lettre qui, dans chaque langue où elle est admise, commande à peine à cinquante mots? Marcas s'appelait Zéphirin. Saint Zéphirin est très vénéré en Bretagne. Marcas était Breton.
Examinez encore ce nom: Z. Marcas ! Toute la vie de l'homme est dans l'assemblage fantastique de ces sept lettres. Sept! le plus significatif des nombres cabalistiques. L'homme est mort à trente-cinq ans, ainsi sa vie a été composée de sept lustres. Marcas ! N'avez-vous pas l'idée de quelque chose de précieux qui se brise par une chute, avec ou sans bruit?
L’approche des milieux sociaux est assez juste. Elle est nourrie d’observations qui finissent par dresse une indirecte analyse sociologique de notre société. La description du vécu de «Vicky presque Sargenti » n’est pas sans rappeler le célèbre Les petits enfants du siècle de Christiane Rochefort.
Chez les Sargenti, les enfants c'est l'affaire du père. C'est lui qui a eu l'idée géniale de les faire pour gonfler les allocs. Alors c'est lui qui s'en occupe. Lui qui punit et qui distribue les raclées. Vicky Sargenti se contente de préparer la bolognese en couvant le suivant. Elle en a déjà réussi trois. À dix-neuf ans, elle trouve cela plutôt bien comme moyenne. Même si elle en a perdu aussi un en route, ce qui l'angoisse assez. Après tout, Luc Sargenti ne l'a pas épousée, pas plus d'ailleurs que les mères de ses trois premiers enfants. Et s'il lui prenait l'envie d'aller voir ailleurs? Elle n'ose pas y penser. S'imaginer seule sur les trottoirs de la ville, dans le froid, dans le noir, abandonnée encore. Non, elle préfère se prendre quelques baffes et fabriquer des enfants.
Même si les mômes ne créent que des ennuis. Ne savent plus quoi inventer. Des revolvers à l'école, maintenant, et hop on flingue l'institutrice. Non mais ils se croient tout permis, les jeunes aujourd'hui? Vicky n'a jamais beaucoup aimé Bryan, presque aussi grand qu'elle celui-là, toujours à la regarder du coin de l'œil quand elle passe en robe de nuit. Mais elle n'a jamais rien osé dire. Luc n'apprécie pas les gamineries, ni les pudibonderies. Il aurait peut-être exigé qu'elle se balade nue, comme l'autre soir devant ses amis après le match de foot. Non, elle ne s’est pas plainte. D'ailleurs, il ne semble pas méchant, le Bryan, il s'occupe de ses petits frères et sœurs et parfois il se prend les raclées du père à sa place, et ça la repose un peu. Mais elle n'avait pas été étonnée le moins du monde quand le policier avait sonné à sa porte. Elle avait continué à mâcher son chewing-gum, le dernier bébé sur le bras, en écoutant son histoire, puis elle l'avait suivi sans se presser.
Ils avaient frappé chez les Robert, juste à côté, mais avaient fait chou blanc. Personne. Les parents de Magdalène ont mieux à faire que de rester toute la journée à la maison, c'est d'ailleurs pourquoi celle-ci semble si sale. De temps en temps, on passe une couche de peinture vert foncé sur les châssis, cela suffit. Les carreaux se laveront bien tous seuls avec les averses. D'ailleurs dans ce pays il pleut tout le temps, autant que cela serve à quelque chose.
Ensuite, en passant devant le Café de l'Étoile, ils s'étaient arrêtés pour prévenir Luc mais il avait secoué la tête d'un geste impatient, demandé qu'on lui foute la paix, juste une seconde, putain, une putain de seconde à boire une bière tranquille, est-ce que c'était trop demander merde.
Alors Vicky était partie seule avec le policier, toujours secouant un bébé barbouillé contre sa hanche fine, le ventre à peine arrondi vers l'avant, les épaules raides. À se demander pourquoi il fallait que ça arrive, ces trucs-là, et par une si belle journée en plus. Franchement les enfants c'est cool pour les allocs mais alors pour le reste... (p. 94-96)
Berti possède un sens aigu de l'observation, de la caricature. Elle parvient à réaliser un cocktail savoureux entre la langue écrite et l’oralité, entre les discours directs et indirects. C'est drôle et dramatique à la fois. Et, ce qui ne gâte rien, c’est d'abord une fable à suspense dont l'épilogue est inattendu.
[…]
© Michel VOITURIER * michel.voiturier@skynet.be
Sarah BERTI, Classe story, Bruxelles, Mols, 2004
[…]
__________________________________________________
L'avis d'une enseignante...
Classe Story raconte l'aventure d'une classe de 6ème primaire qui bascule en enfer quand un élève tue son institutrice, Mademoiselle Plume. Ensuite il prend ses camarades en otage et... je ne vous en dis pas plus. Lisez, vous verrez par vous-même. C'est un livre qui interpelle vraiment. En tant qu'enseignante, j'ai moi aussi beaucoup d'inquiétudes quand je vois la violence à laquelle nous sommes confrontés dans les écoles. Il est grand temps d'en parler.
J'ai adoré ! Ma note : 10/10
Sur le site de la Fnac http://www.fnac.com (s. v. Sarah Berti)